Royaume-Uni : Quel bilan économique pour Rishi Sunak ?

Rishi Sunak, Chancellor of the Exchequer, source : Ian Forsyth/Getty Images

Cela fera bientôt huit mois jour pour jour que Rishi Sunak a été élu Premier ministre du Royaume-Uni.  Partisan d’un État peu interventionniste, laissant faire le marché et la libre concurrence, l’ancien Chancelier de l’Échiquier (équivalent au poste de Ministre des Finances publiques) et ancien secrétaire en chef du Trésor britannique sous Boris Johnson avait promis peu de temps après son élection de « travailler jour et nuit » pour booster l’activité économique britannique, diviser par deux l’inflation qui tend vers les 10 % depuis le mois de septembre 2022 ainsi que de procéder à une réduction de la dette du pays. Mais cela ne sera pas chose aisée avec une situation sociale plus que tendue, les conséquences économiques du Brexit et de la Covid-19 ainsi que celles de la Guerre Russo-Ukrainienne.

Le plan économique de Rishi Sunak pour le Royaume-Uni (extrait des “Five Pledges” (cinq promesses) de Rishi Sunak) se décline comme suit  :

  • Diviser l’inflation en 2023 par deux pour réduire le coût de la vie et donner aux britanniques une sécurité financière

  •  Booster l’activité économique en créant des emplois mieux rémunérés et des débouchés professionnels sur l’ensemble du territoire britannique              

  • Augmenter les impôts pour financer par la suite les services publics britanniques qui sont actuellement en très mauvais état (et plus particulièrement la NHS) après la pandémie de Covid-19

  • Limiter l’endettement public                                                                                                                         

  • Baisser le taux minimum de l’impôt sur le revenu de 20 % à 16 % mais pas avant fin 2029 pour s’assurer que les coupes budgétaires soient financées par la croissance et non par l’endettement

Rishi Sunak est considéré au Royaume-Uni comme celui ayant sauvé les agents économiques britanniques des conséquences négatives des confinements successifs (permettant de lutter contre la propagation de la Covid-19) en lançant des programmes innovants de soutien aux ménages et au secteur privé avec une rapidité impressionnante. Pour lutter contre la récession découlant du premier confinement en 2020, Rishi Sunak a dépensé plus de 330 milliards de livres sterling pour un programme d’aide d’urgence aux entreprises britanniques dont 70 milliards de livres sterling pour un programme de maintien dans l’emploi (un programme qui octroyait des subventions aux employeurs afin qu’ils conservent et continuent de payer leur personnel pendant les fermetures liées au coronavirus).

Mais paradoxalement, il a aussi une responsabilité dans le mauvais bilan économique de son prédécesseur Boris Johnson. Ce dernier avait été porté au pouvoir sur de grandes attentes à la fois économiques et politiques après la période chaotique qu’avait engendré le référendum sur la sortie de l’Union Européenne en 2016. Le gouvernement de Boris Johnson qui n’a jamais voulu faire marche arrière sur le Brexit, a par la même occasion entraîné un ralentissement de la croissance (dû aussi à une mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19) et à une hausse de l’inflation. Rishi Sunak n’est pas étranger à cela, grand partisan du Brexit, il a en tant que Chancelier de l’Échiquier (de février 2020 à juillet 2023) participé à la mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19 en mettant en place un programme de réduction de 50 % des prix des repas et autres produits proposés par les restaurants, les pubs et  les cafés britanniques après le premier confinement et l’assouplissement des restrictions sanitaire en 2020. L’objectif de Rishi Sunak et du gouvernement à travers ce programme était de relancer l’activité économique, d’inciter les britanniques à sortir de chez eux pour dépenser de nouveau et de préserver le secteur de la restauration d’une vague de licenciements et de faillites à la chaîne. Un programme qui était tout à fait louable mais qui aura eu pour effet d’augmenter le nombre d’infections à la Covid-19 * et d’entraîner un ralentissement économique avec l’avènement d’un second confinement. En 2020, le Royaume-Uni a vu son PIB chuté de 9,7 %, soit la plus forte chute du taux de croissance depuis la Dépression en 1920-1921, avec une chute  de 25 % du PIB durant le premier confinement en avril 2020. Les manquements vis-à-vis des mesures sanitaires dans le but de relancer l’économie ont conduit à une augmentation des cas de Covid-19 et donc à la mise en place de confinements en Grande-Bretagne en fin 2020 et en début 2021.

(*) entre 8 et 17 % de nouveaux clusters détectés durant la période où le programme a été appliqué,  avec en moins d’une semaine une augmentation des nouvelles infections dans les zones où le programme a été fortement adopté

Parmi les autres points négatifs du mandat de Rishi Sunak en tant que Chancelier de l’Échiquier, nous pouvons noter la mauvaise gestion des fraudes en lien avec les programmes de soutien permettant de faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 (le Coronavirus Job Retention Scheme (CJRS), le Self Employed Income Support Scheme (SEISS) et Eat Out to Help Out (EOHO)). En effet, la valeur totale des erreurs et des fraudes liés à ces programmes de 2020 à 2021  sont estimés par le gouvernement britannique entre 3,2  et 6,4 milliards de livres sterling. 


Mais alors Rishi Sunak en tant que premier ministre du Royaume-Uni est-il actuellement sur la bonne voie concernant son plan économique ?

C’est en tout cas ce qu’il pensait en mars 2023, après avoir vu les données portant sur l’évolution de l’activité économique du Royaume-Uni et tout particulièrement un taux de croissance estimé à 0,3 % en janvier 2023. Mais si on regarde sur une plus large période de temps, c’est-à-dire du début de son mandat jusqu’à nos jours,  le bilan est un peu plus contrasté. Car depuis la prise en fonction de Rishi Sunak (et même lors du mandat de Boris Johnson et du court mandat de Liz Truss), la croissance du PIB a toujours stagné, depuis le mois d’octobre 2022 le taux de croissance du PIB tourne autour des 0%. Deux mois après la prise de poste de Rishi Sunak en décembre 2022, le taux de croissance du PIB était à -0,52 % soit une chute de 0,3% par rapport au mois de novembre 2022. Et même si il y a eu un rebond en janvier 2023 avec un taux de croissance de 0,47 % , en février et en mars  le PIB n’a fait que chuter pour se retrouver à environ  -0,3 % en mars 2023 (Graphique 1). Le taux de croissance du premier trimestre 2023 serait vraisemblablement  égale à 0,24 %. La principale raison à cette stagnation serait la forte baisse de la contribution du secteur des services au PIB du Royaume Uni. Ce qui en soit est un véritable problème car le secteur des services représenterait plus des 2/3 du PIB du pays (79,2% du PIB et 82 % des emplois du Royaume-Uni).

Graphique 1 : Évolution du PIB Royaume-Uni (Indice de base 100) , source : Office for National Statistics UK

Graphique 2 : Évolution et décomposition du PIB Royaume-Uni (pourcentage) , source : Office for National Statistics UK

Tableau 1 : Évolution et décomposition du PIB Royaume-Uni (pourcentage) , source : Office for National Statistics UK

Cette chute de la contribution des services au PIB du Royaume-Uni peut s’expliquer par la hausse généralisée des prix et une hausse des taux d’intérêts qui pénalise non seulement les ménages qui seront moins demandeurs de services (à cause de leurs coûts) mais aussi des secteurs tels le commerce de gros et de détail, l’information et la communication,  le transport et le stockage, les activités financières et d’assurances … (Graphique 3).

Graphique 3 : Contributions mensuelles des services au PIB (pourcentage) , source : Office for National Statistics UK

Cette baisse de la contribution des services est confirmé par les chiffres de la production des services à destination des consommateurs. Les services destinés aux consommateurs étaient inférieurs de 9,6 % à leurs niveaux antérieurs au coronavirus (février 2020) en mars 2023 tandis que tous les autres types de services étaient supérieurs de 1,8% (Graphique 4).  À contrario, la production**, dont la composante majeur est l’industrie (qui ne représente que 20 % du PIB du Royaume-Uni), semble croître légèrement depuis l’arrivée de Rishi Sunak au poste de premier ministre (Graphique 5) . Le secteur de la production a augmenté en mars 2023 de 0,7 % soit la plus plus forte croissance mensuelle depuis mai 2021 dans ce secteur.

(**) industrie manufacturière, industrie minière, la production et la distribution de gaz et d’électricité, la distribution d’eau

Graphique 4 : Évolution de la production des services à destination des consommateurs (Indice de base 100) , source : Office for National Statistics UK

Graphique 5 : Évolution de la production et de ses composantes (pourcentage) , source : Office for National Statistics UK

En effet d’après le Bureau Nationale des Statistiques du Royaume-Uni (Office for National Statistics (ONS)), l’industrie manufacturière a été le principal contributeur à la hausse de la croissance du secteur de la production (surtout en mars 2023). Le secteur manufacturier est le seul secteur industriel à avoir eu une croissance à peu près stable de septembre 2020 à mars 2023 (Graphique 5) d’après les données de l’ONS. Du début du mandat de Rishi Sunak en octobre 2022 (indice de 100,4) à Mars 2023 (indice de 101,1), la stabilité de la croissance de la production manufacturière s’est à priori confirmée. Mais lorsque l’on compare les données de la production manufacturière de l’ONS et l’indice PMI Manufacturing *** produite par la célèbre agence de notation S&P Global (anciennement produit par l’entreprise américaine d’information économique IHS markit qui a fusionné en novembre 2020 avec S&P Global), on remarque que depuis le mois d’août 2022 l’indice PMI signale régulièrement une contraction économique du secteur manufacturier (Graphique 6 et Graphique 6 bis). Une lecture totalement différente de celles des données de l’ONS qui reflétaient une croissance stable du secteur manufacturier. L’indice d’août 2022 à mai 2023 oscille entre 46% (PMI du 23 août 2022) et 49,3% (PMI du 1er mars 2023), ce qui signifie que même durant les huit premiers mois de Rishi Sunak au 10th Downing Street,  l’activité économique de l'industrie manufacturière était en baisse.

Graphique 6 : Indice PMI du secteur manufacturier du Royaume-Uni N.B : les données vont du 01/06/2018 au 02/05/2023

Graphique 6 bis : Indice PMI du secteur manufacturier du Royaume-Uni

(***) L’indice Price Manager Index  Manufacturing  (PMI) du secteur manufacturier est l’indice des Directeurs d’Achat du secteur manufacturier qui mesure leur niveau d’activité. Si l’indice est au dessus de 50 %, cela indique une expansion économique du secteur concerné, et si il est en dessous cela correspond à une contraction économique du secteur concerné. Les traders surveillent ces indices régulièrement étant donné que les directeurs d’achat bénéficient souvent d’un accès précoce aux données concernant les performances  économiques de leurs entreprises, ce qui peut alors devenir un indicateur clé des performances globales de l’économie d’un pays.

De plus dans le cas du PMI, l’indice PMI du secteur des services propose une évolution différente de celle affichée par les données de l’ONS portant sur la production de services à destination des consommateurs. Effectivement, alors que dans le Graphique 4 présenté précédemment la production de services chutait de 0,8 % en mars 2023 et était plus généralement en dessous de son niveau d’avant pandémie de Covid-19 (de 9,6 %) , l’indice PMI services (Graphique 7) du Royaume-Uni indique que l’activité économique du secteur des services ne s’est pas contracté en mars 2023 mais a vu plutôt un accroissement de son activité  (53,5% en début mars 2023).

Graphique 7 : Indice PMI du secteur des services du Royaume-Uni N.B : les données vont du 05/08/2019 au 04/05/2023

La contribution la plus importante ces derniers mois de l’année 2023 à la croissance économique du Royaume-Uni viendrait d’après l’Indice PMI du secteur des services et non du secteur manufacturier (Graphique 8). En début 2023, l’accroissement de l’Indice PMI Composite (qui représente l’évolution de l’activité économique à la fois du secteur manufacturier et de celui des services) s’expliquerait donc par l’accroissement de l’activité économique du secteur des services (Graphique 9).

Graphique 8 : Comparaison indices PMI du secteur des services et manufacturier du Royaume-Uni N.B : les données vont du 01/06/2018 au 04/05/2023

Graphique 9 : Indice PMI Composite du Royaume-Uni N.B : les données vont du 05/08/2019 au 04/05/2023

À quelles données peut -on alors accorder le plus d’importance, celles de l’Indice PMI ou celles de l’ONS ?

Jeremy Hunt lors de la déclaration d’automne du gouvernement en novembre 2022 (UK Parliament/PA)

Si on se fie aux données de l’indice PMI du secteur manufacturier, on pourrait expliquer la chute progressive de l’activité de ce secteur par un manque de soutien du gouvernement britannique, par les nouvelles règles imposées par l’Union Européenne aux acteurs économiques britanniques à l’issue du Brexit mais aussi par une inflation importante des prix des matières premières qui aura eu un impact sur les coûts et donc sur les bénéfices des entreprises industrielles. Dans une retranscription du podcast Political Fix  du journal économique et financier le Financial Times datant du 19 mai 2023 , la question de savoir si le gouvernement de Rishi Sunak avait une stratégie industrielle fut posé à Jeremy Hunt, le Chancelier de l’Échiquier du Gouvernement Sunak. Il n’a pas pu donner une réponse concise car lors de la déclaration d’automne du gouvernement devant le parlement britannique "Autumn Statment” **** , Jeremy Hunt n’a mentionné aucunes politiques de soutien à l’industrie. Sylvia Pfeiffer, spécialiste de l’industrie au Financial Times, affirmera que le gouvernement britannique et les Tories (parti conservateur britannique) n’ont actuellement aucune stratégie industrielle et ce depuis 2021 lorsque Boris Johnson mis fin à sa politique de soutien à l’Industrie britannique.

(****) Lors de la déclaration d’automne, le gouvernement expose les politiques économiques qu’il mettra en place dans un futur proche en se basant sur les dernières prévisions économiques du Office for Budget Responsability (OBR).

D’autre part, les nouvelles règles concernant les droits de douanes pour accéder et exporter au sein du marché européen suscitent beaucoup d’inquiétude parmi les industriels. Un exemple récent concerne l’industrie automobile où trois grands constructeurs automobiles (Ford, Jaguar Land Rover, Stellantis)  ayant des filiales au Royaume-Uni ont appelé à renégocier l’accord commercial UE-Royaume Uni instauré à la suite du Brexit, car selon eux ces nouvelles règles menaceraient l’avenir de l’industrie automobile britannique.  Les règles post-Brexit imposent aux fabricants que 40 % d’un véhicule électrique en valeur soient achetées soit au Royaume-Uni, soit au sein de l’Union Européenne si ce véhicule doit être vendu de l’autre côté de la Manche (sans un tarif commercial de 10 %). En 2024, la proportion de pièces concernées par la nouvelle réglementation passera de 40 à 45 %  et vu que la plupart des batteries électriques sont encore importées d’Asie et que de surcroît ces batteries représentent une grande partie du coût de la fabrication d’un véhicule électrique, beaucoup de constructeurs britanniques et européens ne pourront pas respecter ces règles à temps. De plus, le gouvernement ne semble pas avoir la volonté de toucher à l’accord tout de suite car il prévoit de financer la création d’usines de batteries électriques au Royaume-Uni pour fournir les constructeurs directement et en finir avec les importations de batteries en provenance d’Asie. Cela engendrera une augmentation des prix des véhicules et possiblement une baisse de l’activité du côté de l’industrie automobile. L’important constructeur automobile Stellantis  (Fusion entre PSA et Fiat Chrysler) pense même à fermer certaines de ses usines au Royaume-Uni.

Les données fournies par l’Office for National Statistics sont basées sur des observations et des calculs statistiques alors que l’indice PMI Manufacturing repose sur des enquêtes (enquêtes sur les nouvelles commandes, les niveaux de stocks, la production, les fournisseurs et l’emploi) qui sont transformées en pourcentage et qui sont censées représenter l’évolution économique d’un secteur d’activité. Dans notre cas, les données du PMI Manufacturing UK (Graphique 6 et 6bis) traduisent mieux la situation économique actuelle que les données de l’ONS. Les industriels faisant face à un environnement économique incertain avec les conséquences du Brexit et la Guerre en Ukraine, anticipent une baisse de leur activité économique pour certains quand d’autres en subissent les conséquences actuellement.

Et quand est-il du contrôle de l’Inflation ?

On me personally if inflation isn't halved” (ça sera ma responsabilité si l’inflation n’est pas réduite de moitié), voici ce qu’avait déclaré Rishi Sunak le 7 juin 2023 au média Sky News à Washington. Lors de cette interview le Premier ministre britannique a déclaré qu'il en assumerait personnellement les conséquences s'il ne tenait pas sa promesse de réduire de moitié l'inflation et de faire croître l'économie d'ici la fin de l'année. Ce sont les objectifs les plus importants pour lui, qu’il devra atteindre avant les élections nationales de 2024  au risque de ne pas être réélu premier ministre. 

Graphique 10 : Taux d’inflation annuel au Royaume-Uni

L’inflation au Royaume Uni depuis février 2021 n’a cessé de s’accroître rapidement, les prix à la consommation ont augmenté de 6,5 % sur une année de 2021 à 2022  (Graphique 10) , phénomène qui n’avait jamais été observé lors de ces 30 dernières années. En février 2021 on avait un taux d’inflation de 0,40 % (Graphique 11) qui a atteint une valeur de 11,1% en octobre 2022 (avec un premier pic de 10,1 % en juillet 2022) qui est la valeur la plus élevé depuis avril 1991 (8,3 %). Cette forte poussée de l’inflation en 2021 et en 2022 était principalement dû à l’augmentation des prix des biens à la consommation et celle des prix de l’énergie.

Graphique 11 : Évolution mensuelle du taux d’inflation au Royaume-Uni (Graphique rebuseconomia, source : Office For National Statistics (ONS)

La Grande-Bretagne a le taux d’inflation alimentaire le plus élevé d’Europe de l’Ouest, il y a eu une hausse de 19 % des prix des produits alimentaires en 2022, la plus forte augmentation du pays depuis 1977. Le prix moyen du lait et des œufs avait augmenté de plus d’un tiers jusqu’en avril au cours de l’année 2022. Les taux d’inflation du sucre et de l’huile d’olive se sont rapprochés des 50 % dû à des conditions météorologiques exceptionnelles qui ont affecté de nombreuses cultures dans le monde entier et qui ont de facto fait augmenter les prix dans de nombreux pays dont le Royaume-Uni. La Grande-Bretagne est autant impactée parce qu’elle est le troisième plus grand importateur de nourriture et de boissons du monde derrière le Japon et la Chine selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, ce qui laisse ses prix particulièrement exposés aux phénomènes météorologiques. Un autre facteur de cette importante hausse des prix de l’alimentation pourrait être aussi le blocage de ces mêmes prix à des niveaux élevés, exercé par des producteurs britanniques du secteur de l’alimentation. Pour ce qui est des prix de l’énergie, la Grande-Bretagne dépend fortement du gaz importé pour produire de l’électricité. Cela la rendu vulnérable face à la flambée des prix du gaz en 2022 après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le Brexit a aussi sa part dans cette de l’inflation, car la Grande-Bretagne ayant voté en 2016 pour quitter l’Union européenne, quitta de facto le marché unique au début de l’année 2021. Et malgré le fait que Londres et Bruxelles aient signé un accord permettant un commerce de marchandises largement exempt de droits de douanes, il y a des obstacles aux exportations et aux importations tels que les lourdeurs administratives (les importations et exportations avec l’Union européenne nécessitent de remplir des déclarations, de s’enregistrer pour la TVA, d’obtenir les certificats sanitaires et phytosanitaires adéquats). De plus la libre circulations des travailleurs ayant pris fin entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne, beaucoup d’employeurs britanniques sont confrontés à une pénurie de personnel qui est plus importante en Grande-Bretagne que dans de nombreuses économies européennes. Ce qui a fait grimper les salaires et finalement les prix à la consommation. Cela a  été confirmé le gouverneur de la Bank of England (Banque centrale d’Angleterre) Andrew Bailey le 17 mai 2023 lors d’une conférence annuelle donnée devant la Chambre de Commerce britannique où il a admis que le Royaume-Uni souffre actuellement d’une spirale prix-salaires.  Cette spirale prix-salaires (effet de second tour) a été confirmé aussi plus récemment par Megan Greene, une économiste américaine et futur membre du Comité de la Politique Monétaire de la Bank of England.

En terme de politique de lutte conte l’inflation, le gouvernement de Rishi Sunak n’a pas nécessairement mis en place de mesures pour ralentir la hausse des prix mais a plutôt fait des déclarations d’intentions. Par exemple, pour lutter contre la forte hausse des prix des produits alimentaires, Rishi Sunak à travers son secrétaire d’État à la Santé et à la Protection sociale Stephen Barclay a émis le souhait en mai 2023 de plafonner les prix des denrées alimentaires de base vendus dans les grandes surfaces (comme par exemple le lait et le pain) pour ralentir leur augmentation s’inspirant ainsi d’un accord passé entre l’État français et la grande distribution en France en mars 2023. Mais dès que le gouvernement a fait part de son intention, il a fait face à une levée de bouclier des principaux groupes de la grande distribution, de certains parlementaires conservateurs et de certains économistes.  Pour les acteurs majeurs de la grande distribution britannique, le plafonnement des prix de leurs produits alimentaires  n’apportera aucune amélioration car la hausse des prix est la résultante de la flambée des coûts de l’énergie, des transports et de la main d’œuvre. De plus des représentants des supermarchés britanniques soutiennent qu’au lieu de plafonner les prix, le gouvernement devrait réduire les contraintes bureaucratiques pour l’industrie alimentaire comme par exemple l’assouplissement du contrôle aux frontières. Du côté des hommes politiques, certains membres du partie conservateur font part de leur inquiétude quant à la tentative d’implication du gouvernement Sunak au sein des “marchés libres”, d’autres préviennent que toute intervention de l’État britannique sur la fixation des prix va créer des “risques liés au droit de la concurrence”. Certains économistes quant à eux proposent la même idée que les représentants des grandes surfaces de distribution britanniques à savoir assouplir le contrôle aux frontières de la Grande-Bretagne, qui a été resserré en janvier 2021 et qui d’après une étude de la London School of Economics a augmenté le prix des aliments de 6 %. Ils proposent aussi une transition énergétique plus rapide en passant des énergies fossiles aux énergies renouvelables pour être moins dépendant énergétiquement d’autres États.  

Mais si Rishi Sunak n’a pas encore pris de mesure anti-inflationniste mis à part des politiques de soutien aux ménages les moins aisés, c’est parce qu’il compte sur le gouverneur Andrew Bailey et la Bank of England pour juguler l’inflation à l’aide des taux d’intérêt directeurs. Cette stratégie semble quelque peu porter ses fruits car tout récemment, il a été enregistré la deuxième baisse mensuelle consécutive des prix des denrées alimentaires dans les magasins britanniques en juin 2023. Le coût des articles en général au sein de ces magasins ont augmenté avec un taux annuel de 8,4 % ce mois-ci  d’après le British Retail Consortium (syndicat professionnel d’entreprises dans le commerce de détail britannique) contre 9 % au mois de mai en étant en dessous du taux d’inflation moyen sur trois mois de 8,7 %. Ce qui a permis d’assouplir ces prix sont le ralentissement de la croissance des prix des produits alimentaires qui est de 14,6 % en juin contre 15,4 % le mois précédent et en baisse par rapport au niveau record de 15,7 % en avril. Le ralentissement des prix des aliments frais a été, d’après le British Retail Consortium, le facteur clé du ralentissement des prix en général dans ces magasins car les détaillants ont réduit le coût de nombreux produits de base comme le lait, le fromage et les œufs. La croissance annuelle des prix des aliments frais a fortement chuté de 1,5 point en juin à 15,7 % contre 17,2 % le mois précédent. D’après le British Retail Consortium, ces chutes de prix se feront resentir par les ménages durant le mois de juin. Concernant les prix de produits non alimentaire (vétêments et appareils électroniques), les détaillants ont fait des remises ce qui a permis à l‘inflation alimentaire de baisser de 0,4 point de pourcentage à 5,4 % en juin. Mais les prix restent historiquement élevés par rapport aux normes et certains spécialistes prévoient que le comportement d’achat des consommateurs soit encore susceptible de se déplacer vers les besoins essentiels, la consommation discrétionnaire* étant dépriorisée ou retardée. De même le taux d’inflation reste tout de même élevé en mai 2023 avec un taux étant à 8,7 %.

(*) La consommation discrétionnaire, par opposition à la consommation de base, est l’ensemble des biens et services considérés comme non essentiels. Elle est parfois nommée consommation cyclique et s'oppose à la consommation défensive. Étant des consommations non essentielles, les consommations discrétionnaires sont les premières à être réduites quand le pouvoir d’achat baisse.

Graphique 12 : Évolution du taux d’intérêt directeur de la Bank of England

Andrew Bailey, Gouverneur de la Bank of England (BoE)

Le 30 mars 2020 la BoE (Bank of England), avait baissé de 0,5 point son taux d’intérêt directeur le “Bank Rate” * en passant de 0,25 % à 0,1 % (Graphique 12), un niveau qui n’avait jamais été atteint depuis la crise de 2008. Andrew Bailey qui avait succédé à Mark Carney comme gouverneur de la Bank of England avait baissé le taux directeur urgemment pour soutenir l’économie britannique contre les conséquences économiques négatives de la pandémie de Covid-19. La BoE a maintenu le Bank Rate à 0,1 % jusqu’au 17 décembre 2021 date à laquelle la banque centrale a ramené son taux à 0,25 %. À partir de là, le MPC de la BoE n’a cessé d’augmenter le taux d’intérêt directeur. De décembre 2021 à mai 2023, le Bank Rate a été augmenté progressivement par la BoE de 4 % pour lutter contre la fulgurante poussée de l’inflation au Royaume-Uni, une augmentation qui n’avait jamais été réalisé lors de ces 10 dernières années. Avant et durant le mandat Rishi Sunak, Andrew Bailey et la BoE n’ont eu de cesse que de revoir le taux d’intérêt à mesure que le taux d’inflation montait. Récemment le 12 mai 2023, la Bank of England est passée d’un Bank Rate de 4,25 % à 4,5 % qu’elle a maintenu jusqu’au 22 juin 2023 en passant à un Bank Rate de 5,0 % (Graphique 12),  qui se trouve à 0,75 point d’écart du Bank Rate du 5 juillet 2007 le plus haut taux atteint par la BoE lors de ces 15 dernières années.  Les observateurs économiques présupposent que la banque centrale d’Angleterre augmentera encore son taux directeur de 25 point de base (0,25 %) lors de son prochain meeting en juin 2023 et qu’en novembre 2023 il atteindrait une valeur de 5,5 % à 5,76 % d’ici la toute fin de l’année 2023. Le Bank Rate devrait augmenter car selon toute vraisemblance il y aurait un effet de second tour, à savoir que l’augmentation des salaires dans le privé (qui ont été augmenté de 7,6 % en trois mois) crée de l’inflation et  réciproquement l’inflation poussent des entreprises à augmenter les salaires de leurs employés ce qui conduit à une spirale prix-salaires (mais aussi à une tension sur le marché du travail britannique) et donc à une augmentation du taux d’intérêt directeur. La hausse du taux d’intérêt  entraîne une augmentation des taux d’intérêt du côté de l’obligation souveraine à deux ans “Two-year gilt” et de l’obligation souveraine britannique à 10 ans " 10 year gilt” . Effectivement, on voit une hausse du taux d’intérêt de l’obligation souveraine à deux ans qui le 6 juin 2023 avait atteint 4,897 %, un niveau un cran au dessus de sa valeur de 4,610 %  du 27 septembre 2022, qui était dû à l’annonce du “mini-budget” de Liz Truss. Mais, malgré une baisse du taux d’inflation de 10,1 % en mars 2023 à 8,7 % en avril 2023 (Graphique 11), le gouverneur Andrew Bailey affirme que d’après leur prévisions l’inflation prendra plus de temps à baisser, ce qui risque de mettre Rishi Sunak dans une position délicate si l’inflation n’a pas drastiquement chuté avant les élections générales de 2024. En effet, lorsque l’on regarde de plus près, le prix des produits alimentaires reste élevé (19,1% en avril 2023) et l’inflation sous-jacente ** est passée 6,2 % à 6,8 % ce qui reste inquiétant. 

Graphique 13 : Évolution du rendement (taux d’intérêt) de l’obligation souveraine britannique à 2 ans “Two-year gilt yield

De plus, l’augmentation du taux d’intérêt directeur semble entraîner une crise du logement car le Bank Rate augmentant progressivement, les taux d’intérêts des prêts hypothécaires, les mortgages rates,  augmentent eux aussi ce qui intensifient les craintes des acheteurs et des propriétaires possédant des prêts hypothécaires associés à des taux d’intérêt élevés, d’une chute brutal des prix de l’immobilier. En effet, lorsque une banque centrale augmente ses taux d’intérêt directeurs pour lutter contre l’inflation cela est censé réduire le crédit bancaire (principal canal de la transmission de la politique monétaire) et à terme ralentir l’activité économique ainsi que les crédits à la consommation contractés par les ménages (Graphiques 14 et 15) ce qui théoriquement devrait faire baisser l’inflation. La Banque espagnol Santander, les établissements de crédits Halifax, Monmouthshire Building Society et West Brom Building Society ainsi que récemment la HSBC ont  tous réévalué les taux d’intérêts des prêts qu’ils proposaient ou ont supprimé des gammes de prêts hypothécaires qu’ils reproposeront à une date ultérieure avec des taux plus élevés. On remarque en effet sur les graphiques 16 et 17 ci-dessous que les taux d’intérêt imposés aux ménages pour des prêts hypothécaires (taux fixe à 2 ans) restent élevés et se trouvent toujours pour la plupart  au dessus de 5 %, et que le nombre d’approbations de prêt pour l’achat d’un logement ainsi que le nombre d’approbations pour un refinancement hypothécaire ont chuté fortement en début 2023 (106380 approbations de prêt pour des achats de logement en fin novembre 2020 contre 39610 en fin janvier 2023). Cette crise du logement deviendra à terme un problème politique pour Rishi Sunak car cela va exacerber le coût de la vie au Royaume-Uni.

Graphique 14 : Croissance totale de la monnaie et de la croissance du crédit au Royaume-Uni

Graphique 15 : Croissance du crédit à la consommation

Graphique 16 : Nombre total d’approbations en livres sterling obtenues sur les logements

Graphique 17 : Taux d’intérêt des ménages sur les prêts hypothécaire à taux fixe à 2 ans (LTV *** )

(*) Le Bank Rate est le taux d’intérêt directeur le plus important de la Bank of England. Dans les médias et la presse financière anglophones, il est souvent appelé “Bank of England rate” ou juste “the interest rate”. Il est fixé par le Comité de la Politique Monétaire de la BoE ou Monetary Policy Committee (MPC), ce qui fait parti de l’action de la politique monétaire de la BoE pour atteindre l’objectif que le gouvernement britannique leur fixe pour maintenir l’inflation à un niveau bas et stable de 2 %. Le Bank Rate détermine le taux d’intérêt que la BoE paye aux banques commerciales qui ont des comptes en son sein. Le changement de valeur du Bank Rate influence les taux que les banques demandent à leurs clients (ménages et entreprises) pour emprunter des liquidités.

(**) L’inflation sous-jacente est une mesure du niveau de la hausse générale des prix qui est calculée par l’indice des prix à la consommation hors alimentation et énergie, ce que l’on appelle le core CPI en anglais.

(***) LTV : Loan To Value ou le ratio prêt-valeur est une notion utilisée dans le cadre de l’octroi d’un crédit immobilier.  Il s’agit d’une évaluation du risque de prêt que les institutions financières et autres prêteurs examinent avant d’approuver un prêt hypothécaire. En règle générale, les évaluations de prêt avec des ratios LTV élevés sont considérées comme des prêts à risque plus élevé. Par conséquent si l’hypothèque est approuvée, le prêt a un taux d’intérêt plus élevé. De plus, un prêt avec un ratio LTV élevé peut obliger l’emprunteur à souscrire une assurance hypothécaire pour le prêteur. Ce type d’assurance est appelé assurance hypothécaire privée.

Qu’en est-il des projets de Rishi Sunak  concernant  la réduction de la dette britannique ?

L’objectif d’une réduction conséquente de la dette britannique semble se corser à moins d’un an des prochaines élections générales au Royaume-Uni. Le 21 juin 2023, le bureau national des statistiques du Royaume-Uni (l’Office for National Statistics) a annoncé que le dette britannique avait atteint un niveau de 100,1 % du PIB en mai 2023, niveau qui n’avait plus été atteint depuis 1961 (Graphique 18). Cette augmentation est due à une hausse des emprunts publics d’un montant de 20 milliards de livres sterling en mai (Graphique 19), elle même suscitée par les coûts des programmes de soutien à l’énergie, les paiements des prestations (sécurité sociale en autre) liées à l’inflation et les paiements d’intérêts sur la dette.

Graphique 18 : Dette nette du secteur public britannique en % du PIB

Graphique 19 : Emprunt net du secteur public britannique (hors banques du secteur public) en milliards de livres sterling de mai 2020 à mai 2023

Il sera très difficile pour Rishi Sunak et son gouvernement de réduire la dette car l’inflation qui reste très élevée (8,7 % en mai 2023) est  associée à une hausse progressive des taux d’intérêt à court et à long terme, qui va augmenter considérablement le niveau des paiements d’intérêts sur la dette avec des emprunts du gouvernement britannique qui pourraient dépasser les 20 milliards de livres sterling d’ici la fin de l’année. Le paiement des intérêts sur le service de la dette s’élevant à 7,7 milliards £  en mai 2023 avec des intérêts sur principal de l’obligation à hauteur de 4,20 milliards £ et les autres intérêts à payer à hauteur de 3,50 milliards £ (Graphique 21). Le FMI (Fonds Monétaire International) avait même déclaré au mois d’avril dernier que la dette nationale du Royaume-Uni allait continuer d’augmenter durant les cinq prochaines années. Dans son  rapport “Fiscal Monitor”, le FMI  a dit s’attendre à une augmentation régulière de la dette publique britannique passant de 103 % du PIB en 2022 à 113 % du PIB d’ici 2028. La dette nette*  doit également augmenter d’après le FMI, en passant de 92 % du PIB à un peu plus de 101 % du PIB en 2027 et 2028. Ceci étant totalement contradiction avec les prévisions de l’Office for Budget Responsibility (OBR) qui prévoyait en mars 2023 que la dette culminerait à un peu moins de 95 % du PIB en 2026-2027 et diminuerait de 0,2  point de pourcentage l’année suivante. Mais avec l’augmentation de la dette nette en mai 2023, on aurait tendance à dire que les prévisions de l’organisme international basé à Washington sont bien parti pour se réaliser. Pour le FMI, le coût élevé des programmes de soutien aux consommateurs faisant face à la hausse des prix de l’énergie et aux conséquences économiques de la  pandémie de Covid-19, signifie que la reconstitution des finances publiques britanniques va prendre beaucoup plus de temps que prévu. De plus avec une forte incertitude économique et politique à l’international, il paraît difficile de croire que le gouvernement britannique puisse réduire sa dette en n’usant pas d’emprunts sur les marchés obligataires pour faire face à des chocs exogènes devenus monnaie courante ses trois dernières années.

(*) qui exclut les actifs financiers détenus par le gouvernement

Graphique 20 : Emprunt net du secteur public britannique en % du PIB

Graphique 21 : Intérêts à payer sur la dette de l’administration centrale de mai 2021 à mai 2023 (en milliards de livres sterling)

Pour réduire la dette publique britannique, Rishi Sunak a décidé de mettre en place une politique d’austérité en augmentant les impôts et en réduisant les dépenses publiques (Graphique 22 où l’on voit qu’à partir de 2020 les dépenses baissent et les recettes augmentent).  Son but est d’avoir plus de recettes fiscales pour non seulement solder une partie de la dette mais pour aussi dans les années à venir réinvestir ces recettes dans le but de créer plus de croissance économique. En avril 2023, le FMI a déclaré que le déficit budgétaire du Royaume-Uni (écart entre les dépenses et les recettes fiscales) avait atteint 13 % du PIB en 2020 et serait à un niveau de 3,7 % du PIB en 2028. Le déficit budgétaire primaire (qui exclut les paiements d’intérêts sur la dette) devrait quant à lui passer de 12 % à 1,9 % du PIB sur la même période. Ceci à condition bien évidemment que les dépenses publiques concernant le système de santé ou la transition écologique n’augmentent pas au fur à mesure que le années passent. 

Graphique 22 : Évolution des dépenses et recettes totales du gouvernement britannique (% de PIB) avec en jaune la courbe des recettes publiques et en bleu celle des dépenses , source : Office for Budget Responsibility (OBR)

Le premier acte qui fut posé par Rishi Sunak dans son projet de réduction des dépenses publiques et de réduction de la dette nationale fut la hausse des impôts. En effet, lors de la déclaration d’automne devant le parlement britannique en 2022 “Automn Statement”, le gouvernement Sunak a imposé la plus grande hausse d’impôt au Royaume-Uni depuis les années 1970. Rishi Sunak avait pris la décision de geler les seuils d’imposition des britanniques pour les cinq prochaines années entraînant des millions de personnes à revenu moyen dans la tranche d’imposition de 40 %. En 1990, 3,5% des adultes britanniques payaient l’impôt sur le revenu au taux le plus élevé (une tranche d’imposition conçue pour les personnes très bien rémunérées). Au cours des 20 années suivantes, les seuils d’imposition ont généralement augmenté en fonction de l’inflation mais pas aussi rapidement que les revenus, de sorte que le nombre de travailleurs payant 40 % a augmenté régulièrement. De 2011 à 2015, le gouvernement de a abaissé chaque année le seuil du taux le plus élevé, portant la part des contribuables au taux le plus élevé à 11 % actuellement.

Sunak et son chancelier, Jeremy Hunt, ont bloqué les seuils de départ et de taux supérieur respectivement à 12 570 £ et 50 270 £ jusqu’en 2028. De plus avec cette nouvelle décision, selon un rapport de l’Institute of Fiscal Studies (IFS) en mai 2023, la part des adultes payant des impôts à 40 % grimpera à 14 % au cours des cinq prochaines années, représentant 7,8 millions d’adultes, soit 20 % des 38 millions de britanniques qui devront payer des impôts sur le revenu dans cinq ans. Un cinquième des contribuables britanniques paiera un impôt sur les revenus plus élevé d’ici 2027. Cela sous entend que ces prélèvements autrefois réservés aux employés les mieux payés vont pousser la classe ouvrière et la classe moyenne, qui sont concernées par la décision politique de Rishi Sunak, à subir des prélèvements de plus en plus élevés. Ce qui entravera sérieusement la croissance économique et causera à terme un fort mécontentement des populations concernées par ces mesures politiques.

L’IFS décrit ce blocage du seuil d’imposition par le gouvernement Sunak comme étant une très forte augmentation de l’impôt et surtout un changement  majeur du système fiscal britannique. La raison pour laquelle cela se produit est que les dépenses publiques ont été estimées à 1189 milliards de livres sterling en 2023/2024, ce qui représente plus 42 000 £ par ménage ou 46,2 % du PIB britannique. Mais avec la dette qui est maintenant a plus de 100 % du PIB, le Royaume Uni rentre dans des eaux dangereuses si le gouvernement est obligé de plus emprunter sur les marchés obligataires. Depuis la crise financière mondiale de 2008, les dépenses ne font qu’augmenter à cause d’évènements exogènes (crise financière, Covid et Guerre Russie-Ukraine), elles sont passées de 41,9 % en 2010 à possiblement 46,2 % du PIB en 2023 soit une hausse de 4,3 % sur 13 ans avec un pic de 53,1 % dû aux conséquences de la Covid-19.

Le gouvernement Sunak a aussi augmenté l’impôt sur les sociétés en passant de 19% à 25 %, ce qui va décourager les investissements des entreprises au sein de l’économie britannique. D’après certains observateurs, il s’agirait plus d’une mesure politique qu’économique car lorsque le président américain Joe Biden cherchait à obtenir un accord international pour un impôt minimum sur les sociétés (avec des discussions sur le fait que le taux minimum pourrait atteindre 25 %) Boris Johnson alors premier ministre du Royaume-Uni à l’époque avait accepté cet accord, prévoyant d’augmenter le taux global d’imposition sur les sociétés britanniques de 25 %. Mais ayant perdu son mandat de premier ministre en septembre 2022, il ne pu pas mettre cela en application. Pour les économistes l’application de cette mesure par Rishi Sunak n’a pas de logique car actuellement la Grande-Bretagne pourrait rentrer en récession à tout moment au vu de la forte hausse de l’inflation, de la hausse des taux d’intérêt directeurs et de la hausse des impôts sur le revenu. Une telle mesure serait donc contre-productive selon eux car elle ralentirait fortement l’activité économique des entreprises ainsi que leurs investissements. Jeremy Hunt lors d’une réunion  avec 250 chefs d’entreprises en avril 2023 aura lui même reconnu que le taux d’imposition global sur les sociétés était trop élevé mais que sa baisse était conditionné à un retour de la croissance économique, ce qui est plutôt paradoxal. En effet, l’IFS et l’OBR ont tous les deux noté qu’une telle hausse du taux global d’imposition sur les sociétés ralentirait la croissance économique britannique.


En conclusion, le bilan économique de Rishi Sunak n’est pour l’instant pas probant, l’inflation reste toujours assez élevée avec 8,7 % en mai 2023 tout comme en avril 2023 (même si il y a eu une petite baisse de l’inflation des prix des produits alimentaires),  la croissance économique des secteurs manufacturiers et des services semble fragile et notons aussi la hausse de la dette nette à 100,1 % du PIB en mai 2023. De plus, les mesures prises par Rishi Sunak comme le gel des seuils d’imposition et l’augmentation des impôts sur les sociétés n’augurent rien de bon pour la croissance économique de la Grande-Bretagne, Jeremy Hunt ayant reconnu, lors de l’Automn Statement,  l’avènement possible d’une récession économique à cause des mesures prises par le gouvernement britannique. L’agenda économique du premier ministre britannique dépend fortement d’échéances politiques et de positions idéologiques qui peuvent paraître par moment déconnectées de toute rationalité économique (la priorité donnée au financement de l’intelligence artificielle par exemple). Le maintien du seuil d’imposition pour les revenus les plus modestes, le manque de mesures concrètes vis-à-vis de l’inflation et du coût de la vie ainsi que la hausse des taux des prêts immobiliers due à la hausse du Bank Rate de la Bank of England sont autant d’éléments qui joueront en la défaveur de Rishi Sunak dans la course à sa réélection en 2024. Car on a du mal à croire qu’il puisse respecter ses principales promesses économiques dans un aussi court laps de temps. Cela commence même à se voir dans les sondages d’opinions, en effet l’institut français de sondage Ipsos a publié un sondage en juin 2023 qui montre que  80 % des citoyens britanniques sont mécontents de Rishi Sunak et de sa gestion du pays. Dans deux autres sondages Ipsos, on voit que les intentions de vote en juin 2023 sont de 23 % pour les conservateurs contre 45 % pour les travaillistes (Graphique 23) et que 6 britanniques sur 10 (58 %) considère que la situation économique ne s’améliora pas dans les 12 prochains mois (Graphique 24).

Graphique 23 : Intention de vote Janvier 2004 à Juin 2023 , source : Ipsos

Graphique 24 : Indice d’optimisme économique, source: Ipsos

Cela n’empêche, les mesures de réduction de la dette nationale et des dépenses publiques n’en paraissent pas pour le moins intéressantes mais seulement si elles sont appliquées progressivement dans une perspective d’obtention de résultat sur le long terme.  Dans le cadre de réduction des dépenses et de la dette nationale, il faudrait donc que le gouvernement Sunak réduise l’usage de l’endettement sur les marchés obligataires au risque de créer une crise budgétaire systémique ainsi qu’une crise économique. Le problème est que dans un environnement économique de plus en plus incertain et extrêmement volatile le gouvernement britannique sera probablement  amené à l’avenir à plus souvent effectuer des dépenses publiques exceptionnelles à des montants très élevées (politiques de soutien face aux conséquences du réchauffement climatique, aux risques sanitaires (épidémie et pandémie), aux crises économiques et financières,…). Ce qui ne lui permettra (voir difficilement) d’atteindre les objectifs fixés par sa politique d’austérité.  Rishi Sunak fait donc là un pari politique et économique risqué car si il ne réussit pas à respecter ses promesses de campagnes avant la fin de l’année 2023, il est quasi sûr qu’il ne soit pas réélu,  en laissant derrière lui un Royaume-Uni  qui se retrouvera probablement en forte difficulté économique. La situation économique et politique de Rishi Sunak était dès le départ compliqué car il avait hérité malgré lui des conséquences des mauvais choix effectués par ses prédécesseurs : Liz Truss avec le “Mini-Budget “*, Boris Johnson et la mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19 ainsi que David Cameron avec le référendum sur le Brexit en 2016.  Ces conséquences ont lourdement handicapé le premier ministre britannique actuel.

(*) Budget présenté par le Chancelier de l’Échiquier du gouvernement de Liz Truss, Kwasi Kwarteng. Parmi les principales mesures de ce budget : un gel des prix de l'énergie pour les ménages, une prise en charge de la moitié des factures énergétiques des entreprises, des réductions d'impôts sur les hauts revenus, un abaissement des contributions sociales et une baisse de la taxe sur les transactions immobilières. Le problème étant le financement de ces mesures, qui n’était clair. Il était estimé entre 100 et 200 milliards £, son coût avait contraint le gouvernement a augmenté ses emprunts sur les marchés obligataires d’environ 45 % pour atteindre 234,1 milliards £ , ce qui a créé des remous sur les marchés obligataires avec une hausse des taux d’intérêt et qui a poussé à la démission quelques jours plus tard de Liz Truss et de son gouvernement.


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